La décision du Conseil d’État du 22 septembre 2022 et l’obligation de tentative préalable de résolution amiable du litige de l’article 750-1 du Code de Procédure Civile

avocat médiateur

35. Aux termes de l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, dans sa rédaction issue de l’article 3 de la loi du 23 mars 2019 précitée :  » Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; / 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; / 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; / 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. / Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation. « 

36. Dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en précisant en outre qu’:  » il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment dans le cas où le litige présente un caractère urgent. « . Les réserves d’interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d’une disposition législative sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient tant les autorités administratives que le juge pour l’application et l’interprétation de cette disposition.

37. Pour l’application des dispositions de l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée, l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret attaqué, prévoit que :  » A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire. / Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants : / 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; / 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; / 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ; / 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. « 

38. En premier lieu, contrairement à ce qui soutenu, les dispositions du premier alinéa de l’article 750-1 du code de procédure civile définissent, de façon claire et suffisamment précise, le champ d’application de l’obligation de mise en œuvre d’une tentative préalable de règlement du litige. De même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le critère du montant de la demande est pertinent pour définir ce champ d’application, et découle au demeurant de la loi elle-même. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de clarté et d’intelligibilité de la norme et seraient entachées d’erreur manifeste d’appréciation doivent être écartés.

39. En deuxième lieu, il est soutenu que les dispositions de l’article R. 750-1 du code de procédure civile portent atteinte au principe d’égalité devant la justice, dès lors que certains justiciables peuvent avoir recours à un mode de règlement amiable des litiges payant, qui leur permettrait plus aisément d’échapper à l’irrecevabilité de leur demande en justice, alors que les autres justiciables, ne pouvant avoir recours qu’à la conciliation, qui constitue le seul mode gratuit de règlement amiable des litiges, se trouveraient exposés à une telle irrecevabilité de leur demande s’ils n’arrivent pas à établir l’indisponibilité de conciliateurs de justice. Toutefois, ni les dispositions litigieuses, ni aucune autre disposition du décret attaqué n’instaurent de différence de traitement entre les justiciables faisant le choix de recourir à un conciliateur de justice. Le moyen soulevé n’est donc pas fondé.

40. En troisième lieu, le principe même d’une obligation de recourir à une tentative préalable de résolution amiable du litige avant d’introduire une demande en justice a été expressément prévu par l’article 3 de la loi du 23 mars 2019. Par suite, les requérants ne peuvent utilement faire valoir à l’encontre du décret attaqué que cette obligation méconnaîtrait la liberté contractuelle garantie par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.


41. En quatrième lieu, si la combinaison des dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile avec les dispositions de l’article 820 du même code, qui prévoit la possibilité de saisir le tribunal judiciaire d’une demande aux fins de tentative préalable de conciliation, est susceptible de conduire à ce qu’une telle demande doive être précédée d’une tentative préalable de règlement amiable en application de l’article 750-1, cette seule circonstance n’est pas de nature à caractériser une atteinte à la liberté contractuelle.

42. Toutefois, si les dispositions du 3° de l’article R. 750-1 du code de procédure civile explicitent le fait que l’indisponibilité de conciliateurs de justice permettant de déroger à l’obligation de tentative préalable de règlement amiable prévue à l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée doit être appréciée par rapport à la date à laquelle la première réunion de conciliation peut être organisée, en se bornant à préciser par ailleurs que cette réunion ne doit pas intervenir dans  » un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige « , elles n’ont pas défini de façon suffisamment précise les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité pourra être regardée comme établie. S’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, l’indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie est de nature à porter atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

43. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret attaqué, les requérants sont fondés à en demander l’annulation en tant qu’il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie.

L’annulation prononcée par le C.E. vise l’imprécision rédactionnelle de l’article 750-1 issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, sur les modalités selon lesquelles l’indisponibilité des conciliateurs de justice doit être établie.

La Haute Juridiction s’appuie sur les réserves d’interprétation déjà formulées par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 n° 2019-778 DC qui, tout en déclarant la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, conforme à la Constitution, a précisé qu’il appartiendra au pouvoir règlementaire de définir et préciser les notions de « motif légitime » et de « délai raisonnable », d’indisponibilité du conciliateur à partir duquel le justiciable peut déroger au préalable de règlement amiable.

Le Conseil d’État se considère de la sorte lié par l’autorité absolue de la décision du Conseil Constitutionnel.

Il retient donc que les dispositions du 3ème de l’article 750-1 du Code de Procédure Civile ne sont pas suffisamment précises sur les modalités et les délais définissant cette indisponibilité et que cette indétermination d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel porte atteinte au principe constitutionnel garantissant le droit d’exercer un recours devant une juridiction.

Il est raisonnable de penser que le pouvoir règlementaire saura combler sa lacune rédactionnelle dans un délai tout aussi raisonnable.

En effet, ces « remontrances » du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État, garants des droits du citoyen de recourir à la justice ne remettent pas en question la volonté du législateur, clairement exprimée dans l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 et dans son intitulé : « Favoriser les modes alternatifs de règlement des différends », d’orienter les parties vers des modes d’apaisement des litiges en préalable à la saisine du Juge.

Toutes les autres critiques à l’encontre des dispositions de l’article 750-1 qui méconnaitraient les principes de la liberté contractuelle, de clarté et d’intelligibilité (1), ainsi que le principe d’égalité devant la justice (2) sont d’ailleurs écartées.

Par ailleurs, le décret n°2022-245 du 25 février 2022 qui porte application de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et reprend l’article 750-1 du CPC en ajoutant le trouble anormal de voisinage à la version issue du décret du 11 décembre 2019, n’est pas visé par l’annulation prononcée par le Conseil d’Etat.

C’est en définitive au juge qu’il appartiendra, au cas par cas pour les affaires en cours et celles à venir jusqu’à la parution du prochain décret, d’apprécier l’application de l’article 750-1 du CPC.

R-François RASTOUL

Avocat-Médiateur

(1)(Champ d’application de l’obligation de mise en œuvre d’une tentative préalable de règlement du litige et critère du montant de la demande.

(2)(Le recours à un mode de règlement amiable des litiges payant permettrait plus facilement d’échapper à l’irrecevabilité de la demande en justice que la conciliation seul mode gratuit si l’indisponibilité du conciliateur n’est pas établie).