La césure à l’hémistiche : Le très romantique décret du 29 juillet 2023 n° 2023-686

décret juillet 2023

Nous savourions encore les délices des beaux jours de l’été, en cette fin juillet, les longues heures propices aux méditations suspendaient leur cours, au bord d’un lac, près des flots harmonieux évoquant ce vers appris sur les bancs de l’école : « Ô temps ! suspend ton vol »

Peut-être est-ce ainsi que l’inspiration vient aux ministres qui nous gratifient en ce 29 juillet 2023 d’un décret dont l’esprit rappelle celui qui fut à la fois ministre, poète et chantre du romantisme : LAMARTINE.

Le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le Tribunal Judiciaire

I – L’audience de règlement amiable :

Il s’agit d’une audience nouvelle qui est ainsi introduite dans le Code de Procédure Civile.

A tous les stades de la procédure (audience d’orientation, mise en état, au fond, en référé) le magistrat peut à la demande de l’une des parties ou d’office après avoir recueilli leur avis, les convoquer à cette audience de règlement amiable.

Celle-ci est tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement.

Les parties doivent comparaître en personne assistées de leur avocat en cas de représentation obligatoire.

La finalité de cette audience étant la résolution amiable du différend, le Juge dispose des moyens les plus étendus pour y parvenir : confrontation équilibrée du point de vue des parties, évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, compréhension des principes juridiques applicables au litige, connaissance des pièces et conclusions.

Il peut encore se transporter sur les lieux pour procéder aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions nécessaires.

Il peut aussi entendre les parties séparément.

Le principe de l’audience, qui se tient sans greffier, celui-ci ayant tout de même préalablement convoqué les parties, est la confidentialité de tout ce qui est dit et écrit (sauf exception d’ordre public, protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou de l’intégrité physique ou psychologique de la personne et bien sûr pour l’application de l’accord).

Les parties peuvent demander au juge assisté du greffier de constater leur accord, dont le procès-verbal peut être transmis au Juge chargé du litige.

Il est dit encore que la décision de convocation des parties à une audience de règlement amiable est une cause d’interruption de l’instance et du délai de péremption de l’instance.

* * * * * * * *

Cette audience, inspirée de la procédure civile québécoise, est incontestablement une grande innovation en droit français.

Certes, il entre déjà dans la mission du Juge de concilier les parties (article 21 du Code de Procédure Civile) comme de procéder par lui-même en se transportant sur les lieux, aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires (article 179 du Code de Procédure Civile), mais aucune de ces mesures n’avait encore pris la forme d’une audience.

Cependant, la conciliation, comme le transport du juge ne sont que très rarement appliquées, les magistrats choisissant quasi systématiquement de déléguer ces missions à un conciliateur et à un expert.

La raison en est évidente : le manque de disponibilité des juges pour des mesures chronophages.

Pour les mêmes raisons, les magistrats ont recours de plus en plus fréquemment au processus de médiation afin de rechercher une solution amiable aux litiges.

Or, le médiateur dispose des mêmes moyens que ceux attribués au juge dans le cadre de l’audience de règlement amiable.

Tiers neutre et indépendant, formé à la médiation, qualifié eu égard à la nature du différend (article 1533 du Code de Procédure Civile), il accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence (article 1530 du Code de Procédure Civile)

Il entend les parties, confronte leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose (article 131-1 du Code de Procédure Civile).

Il peut lui aussi se transporter sur les lieux, entendre des tiers (article 131-8 du Code de Procédure Civile) entendre les parties séparément.

La confidentialité est également la règle (article 1531 du Code de Procédure Civile) avec les mêmes exceptions.

L’accord peut faire l’objet d’une homologation par le Juge (article 1534 du Code de Procédure Civile).

Le processus de médiation interrompt la procédure et l’instance.

Quel peut donc être l’apport de cette parenthèse procédurale qui, hormis le cadre de l’audience, n’élargit en rien les pouvoirs dont dispose actuellement le juge de concilier les parties ou d’en confier la mission à un conciliateur, de se transporter sur les lieux, constater, évaluer, apprécier, reconstituer ou de missionner un expert, et encore de désigner un médiateur avec l’accord des parties ?

* * * * * * * *

Ces pouvoirs que le juge délègue par manque de temps ou peut être de qualification, s’en emparera-t-il désormais dans le cadre de cette nouvelle audience ?

Alors que les audiences sont de plus en plus souvent écourtées et tenues à juge unique par manque de temps et d’effectif, où trouvera-t-on cette disponibilité ?

Là où le temps des plaidoiries se compte en minutes, quand il ne s’agit pas de dépôt de dossiers, ce sont des heures entières et plusieurs audiences dont le juge aura besoin pour confronter les points de vue, évaluer les besoins, les positions et intérêts respectifs des parties, s’assurer de leur bonne compréhension des principes juridiques applicables au litige, en plus de la connaissance des pièces et conclusions.

Ce travail méthodique, les médiateurs savent par expérience qu’il est d’autant plus long, voire fastidieux, qu’il se fera en présence des parties et non pas seulement devant leurs avocats.

Plusieurs audiences de plusieurs heures peuvent ainsi s’avérer nécessaires.

En l’état actuel des moyens humains et financiers de la Justice et de surcroît dans la perspective d’une application du décret dès le 1er novembre 2023, on peut raisonnablement douter de sa mise en pratique.

« Mais je demande en vain quelques moments encore,

Le temps m’échappe et fuit »

(LAMARTINE – Le lac)

II- La césure du procès :

Repos à l’intérieur d’un vers après une syllabe accentuée, la césure ne s’applique bien évidemment pas ici au style prosaïque des rédacteurs du décret.

Il s’agit en l’occurrence de matérialiser une coupure dans le déroulement de l’instruction du dossier devant le Tribunal, comme on coupe en sa moitié un alexandrin à l’hémistiche.

Ainsi, à la demande des parties, le juge peut clôturer l’instruction du dossier et renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci se prononce uniquement sur les prétentions arrêtées par les parties.

Le jugement partiel peut être immédiatement frappé d’appel. Cet appel sera soumis à la procédure à bref délai.

La mise en état se poursuit à l’égard des prétentions qui n’ont pas fait l’objet de la clôture partielle.

Cependant, cette clôture ne pourra intervenir qu’une fois expiré le délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou en cas d’appel avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours.

Puis les parties, avec l’aide de leur conseil, d’un médiateur ou d’un conciliateur peuvent en tirer toutes les conséquences.

L’intérêt que l’on peut trouver à cette mesure est de dissocier les dispositions qui exigent une analyse juridique sur l’application de la règle de droit, de celles qui ne demandent surtout qu’une appréciation de fait, comme par exemple la liquidation des préjudices.

La double désignation de l’expert et du médiateur s’inspire également de ce principe, l’expert analysant les éléments techniques, évaluant les causes, les parties pouvant ensuite se faire aider par le médiateur pour en tirer les conséquences.

Complexification de la procédure, source d’allongement supplémentaire des délais de procédure, nostalgie d’une justice de paix et du temps que l’on ne parvient plus à maitriser, évolution vers une implication plus grande des justiciables dans la résolution des conflits, décréter est une chose, mettre en pratique en est une autre.

« Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges,
Jeter l’ancre un seul jour ? »

(LAMARTINE – Le lac)